25 novembre 2011
Le vent s'est calmé dans la matinée d'hier, et la toile a repris du service -modérément tout de même...
Tout le monde semble avoir trouvé son rythme, et les quarts de 4 heures se succèdent normalement. Jean Michel et Frédéric font équipe, puis vient mon tour. Renate et Karin sont "hors quart"
et gèrent la cuisine de mains de maître. Elles ont cependant du mal à dormir, génées par les bruits du bateau, ses craquements, les coups sous la nacelle lorsque la mer est formée ou par le bruit du moteur lorsque le vent fait défaut. Jean Michel et moi dormons comme des loirs lorsque vient l'heure de la relève, la nuit, pendant la sieste du matin ou de l'après-midi.
Frédéric lui a dû se confectionner un ersatz de boules Quiès pour mieux dormir.
Aaaah les boules Quies... Privilège de l'équipier qui peut se permettre de s'enfermer dans un silence relatif sans se soucier du discours que le bateau lui tient.
Je fonctionne beaucoup au bruit, attentif à toute expression du bateau qui sortirait du cadre habituel de son langage. Le bateau a ses mots propres, mélange de grincements, craquements, coups sourds, parfois claquements impressionnants sous la nacelle des catamarans, comme si un géant jouait des percussions par vagues interposées. Ces bruits sont normaux, habituels, presque familiers. Dans ce tapage se glisse parfois le petit couinement de pièces métalliques en mouvement, le grincement anormal d'un réas mal lubrifié, le "cloc-cloc-clong" de la boite de conserve qui roule, le très leger
ronflement d'une pompe qui devrait être au repos, bref le petit bruit qui parvient à se faire remarquer dans ce charivari et qui exprime une usure évitable, une demande d'attention. Et le bruit du vent, de la vague, parfois le ronronnement du moteur, tous des indicateurs fidèles de l'état d'esprit du bateau.
"Je vis, je bouge, je m'exprime, je chante des fois, t'inquiètes, tout va bien". Ou encore "Pfff... Aouch, je fatigue, ça me tire ici, ça me démange là, Cap'tain ô my Cap'tain, fais quelque chose!"
L'expérience permet d'interpréter beaucoup de ces signes, ce qui devient bien sur impossible avec des boules quies...
26 novembre 2011
Nous sommes au moteur depuis hier midi, et je décide donc de faire une brève escale à Gibraltar pour refaire le plein avant de descendre sur les Canaries. Nous y sommes à quai à 01:00, y dormons jusquà 08:00, et les amares sont à nouveau larguées à 09:00 pour profiter du courant favorable à cette heure de la marée. Gibraltar, puis Tarifa, suivis du Cap Espichel sur la pointe Nord Ouest de l'Afrique sont rapidement derrière. Et c'est un nouveau petit coup de vent qui nous cueille à l'entrée en Atlantique. Trois ris dans la GV, 30% de foc, nous avançons encore sous toilés à 6 nds... et personne ne dormira la nuit suivante. Sauf Jean-Michel et moi, à tour de rôle. |
Tariffa, à la sortie du détroit de Gibraltar |
Une fuite dans la coque babord m'inquiète. On voit très bien deux petits trous par où l'eau de mer rentre dans la cale, au point de déclencher la pompe de cale automatique toutes les 4 ou 5 heures. Très désagréable, cette alarme stridente qui l'accompagne! Je cherche avec beaucoup d'attention d'où cette eau peut venir. Je vois bien où elle sort, mais comment diable arrive t'elle là?? La salle machines est sèche, il n'y a aucune fuite au niveau du "Sail-Drive" (le grand trou par lequel passe l'embase moteur et l'hélice. Tout ça est parfaitement étanche. Je ne vois qu'une cause possible : une micro fissure le long de l'embryon de quille... Va falloir regarder ça de plus près aux Canaries.
Dans l'après midi, le vent mollit, toute la toile est renvoyée, et nous avançons péniblement à 4 nds avec 10 nds de vent réel de Nord Est. Plein vent arrière, ce que les catamarans n'aiment pas du tout... A plus de 120/130° du vent, ça n'avance plus ces engins, même avec le grand genaker déployé.
Les moteurs sont mis en service dans la journée du 27 et c'est au moteur que nous terminerons la descente vers les Canaries.
Pendant cette descente, nous avons vu tous les jours de dauphins, des marsoins, deux tortues qui somnolaient à la surface, et pêché le premier poisson, une toute petite bonite de 40 cm dont nous nous sommes régalés.
Nous sommes arrivés à 22:30 le 30 décembre à Las Palmas de Gran Canaria. Quelques bricoles et vérifications d'usage à faire, un réassort de nourriture, le plein de fuel, et nous pensons repartir le 3 décembre.
Las, les choses ne se passent pas comme prévu!
J'ai voulu plonger pour voir d'où pouvait venir cette fuite et la colmater à flot avec une résine spéciale qui prend et durcit sous l'eau. Rien vu. Je me suis dit "pas grave, les pompes de cale fonctionnent, ça va aller..." Mais cette nuit, j'ai fait un rêve qui m'a réveillé à deux heures du matin et m'a laissé très perplexe, m'empêchant de me rendormir. Dans ce rêve, ça parlait de fuite, et j'avais les pieds mouillés... Il ne m'en a pas fallu plus pour décider de ne pas traverser sans avoir réglé ce problème. En fait, j'aurais du prendre cette décision dès le départ, lorsque, le premier jour, j'ai vu que la calle babord était passablement mouillée! Pressé de partir, j'ai minimisé la chose, ce qui je pense ne me ressemble pas...
Qui a percé ces deux trous au niveau de la quille, de l'intérieur du bateau? Pourquoi? Ces deux trous partent quasiment horizontalement, sur 10 cm chacun, dans la quille. Donc à un endroit sensé être le plus costaud du bateau, et pas du tout en contact avec la mer. C'est donc que l'eau passe par une fissure à la jonction quille/coque. Pas d'autre solution. Mais ces bateaux sont construits en deux demi-coques, collées ensuite l'une à l'autre, et de la résine est injectée ensuite dans la quille (qui ne sert pas de lest mais uniquement de plan anti dérive). Sur la coque tribord, au même endroit exactement, il n'y a pas ces deux trous. Mystère! Je n'y comprends rien...
Nous devons donc sortir le bateau de l'eau, chercher, trouver cette micro fissure et la colmater avant de reprendre la route. C'est clair, Noël se passera en mer, et j'arriverai trop tard en Martinique pour repartir sur La Rochelle où m'attendait un autre convoyage le 20 décembre. Ca fait pas plaisir!
Tout le monde à bord est bien sur assez déçu, mais j'ai le soutien de Jean Michel et tous comprennent l'importance de la chose.
Nous descendrons donc demain lundi de Las Palmas au petit port de Mogan, à 47 miles d'ici. Un gars de la capitainerie ici nous a assuré que le travelift là bas pourrait nous sortir, et qu'il faisait le nécessaire pour que nous y soyons attendus en fin de journée. Donc si tout va bien, sortie lundi fin de journée, réparation mardi, remise à l'eau mercredi et Banzai, sur l'Atlantique. Si nous n'arrivons pas à le sortir lundi, nous sommes refaits car mardi est férié, et jeudi aussi, donc pas de mise à l'eau avant vendredi. Et on ne part pas en traversée un vendredi, vieille superstition de marins ;-) |